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Ethno-musicologie (musique rythme et percussion)
7 septembre 2011

LES SYSTÈMES RYTHMIQUES

LES SYSTÈMES RYTHMIQUES

 

 

 

Introduction

 

= certainement l’un des sujets en ethnomusicologie qui a suscité le plus de débats.

 

Etym. : du grec rhutmos, dont la racine est rhéïn : « couler » : d’où le rhume, mais aussi le Rhône et le Rhin…).

 

1ère remarque générale :

Comment se fait-il que le mot rythme — et pas seulement en français — soit utilisé non seulement en musique,

mais encore ds nombre de domaines artistiques (rythme d’une chorégraphie, d’un poème, d’un tableau, dune œuvre architecturale… ),

et aussi ds tout un ensemble de pratiques culturelles (rythme de la langue, rythme des gestes, rythme de vie…),

dans la constitution naturelle de l’homme (rythmes biologiques),

dans les aspects de la nature elle-même, ds ses manifestations périodiques (rythme des saisons, rythmes journaliers… ) ?

 

Pas ici le propos de répondre à cette question,

Mais important de relever que la notion de rythme relève aussi bien de phénomènes anthropologiques que biologiques, voire même cosmologiques.

Cf. Notion de rythme nous renvoie directement à l’ordre de la nature, qui présente de nb. ex. de phénomènes cycliques.

 

Domaine où l’approche interdisciplinaire pourrait être très féconde.

 

 

2ème remarque :

Comme pour la notion de hauteur, le rythme n’est jamais qu’un donné de la perception sensible :

Cf. quand on dit que « le rythme prend », cela signifie en fait que « le rythme nous a pris ».

= phénomène perçu, vécu (à titre indiv. ou collectif).

 

Toute la question, lorsqu’on veut analyser un rythme, est donc :

comment est-il perçu, vécu (que ce soit du point de vue des musiciens, des auditeurs, des danseurs…)?

= question qui relève pas seulement de l’analyse musicale, mais de la psycho-acoustique et des sciences cognitives.

 

 

Perspective qui implique :

- d’envisager chaque système rythmique dans sa spécificité :

comment est-il pensé et ressenti par les gens chez lesquels on travaille… 

- mais en même temps, qui amène ici aussi à s’interroger sur l’existence d’universaux psycho-physiologiques (cf. comme pour la question des échelles et des intervalles) :

les différents systèmes rythmiques représentés ds le monde peuvent-ils être envisagés selon une grille d’analyse universelle ?

ou ce qui revient au même, sont-ils susceptibles d’être décrits à l’aide d’une terminologie à vocation universelle ?

 

= perspective qui sous-tend la plupart des travaux sur la question.

Et qui a amené nombre d’auteurs à remettre en question ou à repenser un certain nb de concepts prévalant dans l’analyse des phénomènes rythmiques occidentaux.

 

Tel que par exemple le concept de « mesure »,

que l’on va utiliser en ethnomusico dans son sens premier : = mesure du temps.

≠ pour un groupe de temps (4/4), on parlera plutôt de mètre : cf. emprunt à l’étude de la prosodie (structure métrique d’un vers = nombre de pieds).

 

Ambiguïté du terme liée à son histoire : au départ, la mesure telle qu’on l’entend aujourd’hui, n'existait pas ds la musique occidentale.

 

Rappel historique :

Pendant tout le Moyen Age occidental jusqu'à la Renaissance, le seul régulateur du temps, la seule référence est le tactus :

= succession de temps isochrones.

On ne compte pas par exemple 1, 2, 3, 4… ≠  mais 1, 1, 1, 1… = battue à un temps. On pense par unités de temps et non par série d'unités.

Conception linéaire du temps, qui n’opère pas par regroupement d’unités de temps.

= accents mélodiques et rythmiques se placent librement.

 

Ce tactus pouvait être matérialisé par une signalisation visuelle de la main (gestuelle du chef d'orchestre) ou par une signalisation auditive (battue du pied, flexion du doigt, ou avec un bâton… ), que ce soit à l'église ou au théâtre.

 

Dans d’autres cas, il n’est pas matérialisé :

Cas du chant monophonique de la liturgie chrétienne : par ex. le chant grégorien :

on pense que les chanteurs se « serraient les coudes » (au sens propre) pour parvenir à se synchroniser rythmiquement :

= contact physique qui permet de sentir la pulsation de ses voisins et de se mettre au même tempo qu’eux : chanter ensemble de façon « mesurée », sur une pulsation commune. 

 

R. Pratique que l’on retrouve aujourd’hui dans de nombreuses polyphonies vocales du monde entier : les chanteurs font corps, que ce soit sous la forme d’un cercle ou en se plaçant sur une même ligne, de sorte à être au coude-à-coude.

 

 

Mais pour en revenir à l’Occident,

C’est à partir de la seconde moitié du XVIème siècle que la barre de mesure commence à envahir le solfège :

au départ, simple cadre graphique destiné à faciliter l'écriture et la lecture des textes musicaux :

cf. comme la "mise au carreau" du peintre (quadrillage de son dessin sur la toile).

 

+ Coïncide avec une période de renouveau de la danse :

musiciens professionnels composent des "danceries" sur des rythmes et des mélodies populaires :

favorise l'apparition de la barre de mesure et fige l'essor de la rythmique de la Renaissance

(au sens où le regroupement d’unités de tps de même valeur induit un schéma accentuel précis : une subdivision précise de la mesure qui induit une hiérarchisation des temps : tps fort / tps faible : ex. 6/8 ≠ 3/4)

 

De simple repère, la barre de mesure va devenir en moins d'un siècle un véritable "dogme" pour la plupart des compositeurs.

 

C’est donc de cette époque que date l’acception actuelle du terme de mesure, tel que l’entend la musicologie occidentale.

 

Mais la notion de musique mesurée au sens premier du terme, telle qu’on l’utilise en ethnomusicologie, renvoie à toute musique fondée sur un étalon de mesure.

 

 

 

I — Les musiques dites « non mesurées »

 

au sens premier du terme = musiques qui ne seraient sous-tendues par aucun étalon de mesure du temps

Autrement dit, musiques dont les durées ne sont pas proportionnelles.

 

• Certaines cultures ne connaissent pas de musiques non mesurées :

Cas par exemple du monde andin (indiens des Andes).

 

• D’autres ne connaissent que quasiment que des rythmes non mesurés :

Cas des musiques traditionnelles corses, essentiellement basées sur la polyphonie vocale :

très peu de musique instrumentale, et très peu de danses.

 

• D’autres cultures utilisent les deux, et parfois au sein d’une même forme musicale :

Par exemple le cas des taqsim du monde arabo-musulman

ou du khayala du monde indien, où l’improvisation commence tjs par une partie introductive non mesurée, qui précède l’entrée d’un tambour.

 

Cas aussi dans l’opéra occidental, où les récitatifs forment svt des parties non mesurées.

 

 

Rappelons l’opposition que propose S. Arom entre musiques mesurées et non mesurées :

« La musique non mesurée n’étant pas soumise à des quantités fixes,

la durée de chaque son n’a de signification que compte tenu de sa position par rapport à ce qui le précède et ce qui le suit,

c’est-à-dire la formule mélodique à laquelle il se trouve intégré.

Par là, elle s’oppose aux musiques mesurées, dans lesquelles chaque durée entretient un rapport strictement proportionnel avec toutes les autres ».

 

= opp. en fait théorisée depuis longtemps :

cf. on la trouve déjà ds la théorie musicale du Moyen-Age :

sous les termes opposés de cantus mensuratus (chant mesuré) / cantus planus (plain-chant).

 

Certains auteurs actuels parlent de rythme libre plutôt que non mesuré (cf. anglais free rhythm ≠ strict rhythm), mais pour désigner le même phénomène.

 

= définitions à retenir, mais que l’on peut encore affiner :

 

Pour Arom : différence exprimée en termes d’oppositions marquées :

Une musique non soumise à des quantités fixes ≠ une autre où durées strictement proportionnelles

 

 

— Pourtant une dimension intermédiaire, qu’on appelle le rubato (litt. « tps volé » ≠ tempo giusto):

Déf. courante : quantités pas strictement proportionnelles, mais pourtant sous-tendues par une mesure régulière.

= tension, distorsion volontaire entre une régularité sous-jacente et l’évènement musical réel :

implique donc que l’on ressente une pulsation régulière, sans laquelle l’effet de distortion serait manqué :

d’où, effets de rubato svt ponctuels, dans un but expressif.

= En découle un effet momentané de liberté et de spontanéité par rapport à une référence quantitative fixe.

 

 

— Même dans une interprétation non rubato (tempo giusto), si l’on y réfléchit bien, aucun musicien ne joue jamais de façon strictement métronomique :

 

Cf. il y a ce qu’on appelle le groove (ou le swing en jazz) :

déjà une forme d’interprétation par rapport à une référence régulière, à un jeu métronomique.

= une façon convenue de se placer par rapport au temps : jouer en avant ou en retrait — au fond — du temps

+ une façon aussi de le phraser (jeu d’accents), etc. 

 

= ce qui donne au flux musical toute sa charge expressive.

Sorte de subjectivisation collective du temps, du flux musical :

il faut l’interpréter tous de la même manière, sinon, cela ne swingue pas, cela ne groove pas… 

 

­—  Et le rythme non mesuré (ou libre) ?

classifications mécaniques, qui posent svt pb lorsqu’on se confronte aux phénomènes musicaux en eux-mêmes :

Car dans toutes les musiques dites non mesurées (ou à rythme libre), la plupart d’entre nous perçoivent quand même une pulsation approximative et surtout, une identité rythmique claire (difficile de concevoir une musique parfaitement arythmique !) :

cf. styles dits à rythme libre comme l’alap lent du raga indien ou certains styles récitatifs n’effacent pas totalement le sentiment d’une certaine régularité,

sauf que si l’on veut battre cette pulsation, jamais strictement isochrone (équidistante)… 

 

hypothèse :

on est peut-être en présence d’une liberté rythmique qui ne s’oppose pas nécessairement à la notion d’une structure sous-jacente :

mais cela nous oblige à concevoir une structure qui comporterait en elle-même (de façon intrinsèque) une dimension non strictement fixée, imprécise… 

 

= liberté rythmique lui serait en fait totalement inhérente (plus juste un effet d’interprétation — cas du swing — ou de déviation ponctuelle — cas du rubato — par rapport à une structure régulière, mais une structure qui comprend intrinsèquement une part d’imprécision rythmique… ).

 

Revient à poser le problème suivant :

= Comment concevoir — et transcrire — une structure qui ne quantifie pas les rythmes ? Une structure non régulière ?

 

Et quelle est dans un tel cas la référence mentale des musiciens ?

 

 

Ex. musical 1 : rituel de Guélédé (Bénin). Cf. partition

Essayer de battre une pulse.

= Partie soliste donnée comme non mesurée.

 

Itcha du Bénin (= sous-groupe Yoruba).

 

Gens du Guélédé = confrérie d’hommes.

Chant rituel d’incantation, associé à la récolte des premiers tubercules d’ignames = prémices : pour assurer la fertilité tellurique (terre).

 

Partie du soliste non mesurée, mais strophique : reprise d’un même cheminement mélod. (avec variations), constitué de pl. phrases, elles-mêmes constitutives de strophes (notées // sur la partoch).

 

Alterne avec une partie responsoriale (soliste/chœur polyphonique).

Homorythmique, mais mvts mélodiques divergents.

= mesurée (cf. Pulse donnée par l’entrée d’un idiophone frappé.)

 

Dans la 1ère partie, on perçoit bien une structure rythmique :

mais qui ne repose pas sur des proportions rythmiques strictes.

 

Pourquoi ?

= Rythme gouverné ici par le texte :

Segmentation des strophes en phrases, chaque phrase étant rythmiquement construite en fonction du texte à énoncer :

même sans le comprendre, on perçoit que c’est le débit de la parole,

et le désir d’accentuer certaines syllabes en fonction du rythme de la langue,

qui génèrent et cisèlent le rythme en cours de jeu.

 

Cf. la parole, contrairement à la musique, ne repose pas sur des rythmes de proportion fixe.

Dimension textuelle l’emporte donc ici sur le musical.

 

Cf. degrés forts ou appuis accentuels sur certaines syllabes : tenues plus que les autres.

Mais durée de ch. son n’a de signification que par rap. à la formule textuelle et mélodique d’ensemble à laquelle il est intégré.

Pas de proportionnalité stricte entre les durées.

 

+  pas de décompte d’une pulsation entre phrase : silences non mesurés.

 

= style récitatif, où la structure rythmique est en fait conférée par le rythme et les accents du texte, et par la carrure des phrases à énoncer, de longueur variable.

 

= Cas fréquent, notamment en solo.

 

 

 

Autre ex. Peuls Wodaabe du Niger : ex musical 2

 

Cette fois-ci collectif !

Comment peut-on chanter ensemble de façon non mesurée ?

 

2 parties :

 

1ère partie : Hétérophonie où chacun décline à sa façon (variantes mélodiques et rythmiques + tuilage) la même échelle descendante :

(Hétérophonie = même référence musicale, mais interprétée différemment par chacun.)

 

Rythme libre : valeurs rythmiques pas préétablies et non proportionnelles les unes par rapport aux autres + carrures des phrases à dimension variable

 

Boucles continues qui se chevauchent :

 

 

2ème partie :

Forme responsoriale, avec tuilage + légère hétérophonie au sein du chœur.

 

Retour des mêmes cheminements mélodiques (même variés) fonde le sentiment d’une certaine  périodicité (regroupement d’unités de durée égale) :

carrure de chaque phrase pourtant variable… 

 

 

+ ds les 2 parties : tenues sur les degrés importants (Do et Ré ds la partie 1, Do et Mib ds la partie 2),

et passages + rapides, voire glissendi sur les autres degrés.

 

= d’où, effets de contraste rythmique entre des valeurs longues (degrés les plus importants), moyennes (degrés d’importance intermédiaire) et brèves (notes de passage), qui fondent le sentiment d’une certaine identité rythmique, bien que les durées ne soient pas proportionnelles :.

(cf. difficile de battre une pulsation régulière).

 

Donc, durées ici non proportionnelles, mais valeurs contrastées :

 

À partir du moment où il y a contraste, on est bien en présence d’une structure, fondé sur des éléments d’opposition (contrastants) : valeurs longues / moyennes / brèves

 

D’où, déf. possible de ce rythme non mesuré :

rapport qu’y entretiennent les valeurs n’est certes pas quantitatif (on ne compte pas le tps),

mais étant basé sur des effets de contraste, on peut dire qu’il est qualitatif :

Mvts rapides s’opposent à notes tenues, indépendamment de tout étalon de valeur.

 

On n’est pas dans une temporalité striée (pré-quadrillée : structure fixe de référence), entrecroisant des fixes et des variables :

Mais pour reprendre une expression de Boulez, ds un « temps lisse » (cf. « Penser la musique aujourd’hui ») :

 

un rythme flottant, qui se meut un peu à la façon dont un fluide occupe l’espace = flux

(cf. étym. grecque du mot rythme : rhéïn : couler)

 

Spécificité d’un tel rythme ne se joue pas en termes d’opposition entre le régulier et l’irrégulier (comme ce serait le cas du rubato : irrégularité au sein du régulier),

 

mais marque une différence de nature entre 2 modes de temporalité :

L’un dimensionnel, mesuré

L’autre directionnel (penser à la dynamique des flux ou à la manière dont se déplace un banc de poisson : sans queue, ni tête, ni centre, mais oscille d’un mvt tantôt unanime, tantôt tuilé, comme sous l’effet d’une onde de choc qui relierait les terminaisons nerveuses de chacun.)

 

= inter-rythmicité des chanteurs qui s’articule de l’intérieur,

sans imposition de mesure, ni de cadence :

= purement circonstancielle, pas pré-établie, pas totalement prédéfinie dans ses moindres contours 

 

cf. si elle n’est pas strictement pré-définie, pré-quadrillée, cela revient à dire qu’elle émerge en situation, autrement dit, d’un jeu d’interaction entre les chanteurs

 

Cf. grandes lignes de danse, de parfois plus de 50 chanteurs :

chacun se positionne par rapport à ce que font ses voisins immédiats.

Émerge ainsi une rythmicité que l’on peut qualifier d’interactive, ou corrélationnelle.

 

D’un bout à l’autre de la chaîne de danse, ne s’entendent pas tous,

et ne cherchent pas à être strictement ensemble.

Au contraire, ne cessent de jouer d’effets de retards et d’anticipation, non par rapport à un référent fixe (comme ds une temporalité striée), mais les uns par rapport aux autres.

 

= Structure rythmique qualitative, qui ne donnera js 2 interprétations identiques.

 

Pour décrire un tel rythme, il faut en qq sorte essayer de se mettre dans la peau des chanteurs :

surtout si l’on n’a pas la possibilité de chanter avec eux pour ressentir personnellement les choses de l’intérieur.

À ce titre, la pratique musicale est irremplaçable, mais on n’y pas tjs accès : cf. cas comme ici d’un rituel… 

 

 

Et du coup, comment transcrire une telle musique ? 

 

Évidemment sans chiffrage à la clé, ni barres de mesures…

 

Solution est sûrement de recourir à des signes codifiant trois types de valeurs qualitatives :

-         valeurs longues (ex. par une blanche sans hampe),

-         valeurs intermédiaires (ex. par une noire sans hampe),

-         mouvements rapides (ex. sous forme de traits ? : cf. pas tjs stables du point de vue de l’échelle).

 

 

 

 

II — Les musiques mesurées :

 

1ère remarque :

Meilleur moyen de comprendre quelle est la référence temporelle des gens lorsque la pulsation n’est matérialisée par personne ?

Faire écouter les enregistrements et demander aux gens de frapper dans leurs mains :

= geste universel : peu de chances pour que cela ne marche pas… 

 

 

         2è remarque :

         Lorsqu’il y a un étalon de mesure (qu’on a affaire à une musique mesurée), rare qu’il n’y ait pas une organisation secondaire du temps sous la forme d’un regroupement d’unités de temps, autrement dit, une périodicité :

ce qu’on appelle un mètre, une métrique

(ou « une mesure » au sens occidental du terme, même si les ethnomusicologues utilisent peu ce terme du fait de son ambiguïté).

 

Cf. Pas trouvé d’exemple dans le monde de musique mesurée qui ne repose pas aussi sur une métrique précise.

Il ne s’agit évidemment pas de faire le tour des diff. syst. rythmiques représentés ds le monde :

 

Vais donc prendre un fil directeur, qui sont les rythmes dits aksak,

pour nous interroger sur ce qui relève de l’aksak et ce qui n’en relève pas :

 

permettra, en tentant de définir l’aksak, d’aborder un certain nb d’autres systèmes rythmiques, et donc de relever les constantes et les différences entre ces systèmes.

 

Je m’appuie principalement sur les travaux de Braïloiu, de Jérôme Cler, de Jean During, Simha Arom, Koffi Agawu, Gerhard Kubik… (+ N° 10 des cahiers de musiques trad consacré au rythme). Cf. bibliographie. 

 

 

A/ Terme de rythme aksak en tant que catégorie universelle de la musicologie proposé pour la première fois ds les années 60 par Constantin Braïloiu :

= emprunt au lexique turc (théorie musicale de l’aire ottomane), où il signifie tout simplement : « irrégulier », « qqch. qui cloche ».

= rythmes décrits comme boîteux.

 

Avant Braïloiu, Bartok s’était déjà intéressé à ces rythmes (dès 1938), qu’il qualifiaient de « rythmes bulgares ».

 

Mais il s’avère que ces rythmes ne sont pas seulement présents en Bulgarie,

mais ds une vaste aire géographique qui s’étend approximativement de l’ex-Yougoslavie au Turkestan chinois

+ également représentés dans le monde arabo-musulman.

 

Bartok comme Braïloiu se sont heurtés à la difficulté de concilier la pratique musicale occidentale, au départ basée sur des mesures binaires ou ternaires,

avec celle de l’Europe orientale, souvent caractérisée par des mesures asymétriques : 3 + 2.

= imposent selon eux une toute autre conception de la durée musicale.

 

Mais chacun propose 2 approches foncièrement différentes de ces rythmes :

• Bartok, peut-être plus imprégné de la conception solfégique occidentale, les décompose en micro-unités égales :

(ou ce qui revient au même, il regroupe des valeurs fondamentales égales en nouvelles valeurs, cette fois inégales) :

 

Ex. 2 + 3 :

valeur fondamentale = la double croche

groupées de la manière suivante : 2 doubles croches + 3 doubles croches

 

[Important : comme vous ne pourrez certainement pas lire ma police de caractères solfégiques, je vais utiliser la convention suivante :

C pour croche

cc pour double croche

N pour noire

B pour blanche

R pour ronde

s pour le soupir et ds pour le demi-soupir.

 

Usage du point pour les rythmes pointés. Ex. C C. = 1 croche + 1 croche pointée

Usage de chiffres pour les regroupements rythmiques :

ex. 2cc + 3cc = 2 doubles croches + 3 doubles croches.

ex. N 3C 3C = noire + 3 croches + 3 croches (soit du 8 temps).

Usage du tiret pour les rythmes liés, de type syncope :

ex. 2/4 : N 2C-2C N = mesure en 2/4 : noire + croche + croche liée à croche + croche + noire.

Usage de la barre pour la barre de mesure :

Ex. 4/4 / N N N N-/-N N N N / = 2 mesures de 4 noires, le 4è temps de la 1ère mesure et le 1er temps de la seconde étant liés (cf. par des tirets).

Désolée… C’est un peu l’usine à gaz. Mais c’est la solution la plus rapide !]

 

• Braïlou insiste dès l’abord sur l’existence de valeurs fondamentales inégales à la base de cette conception rythmique :

valeurs qui ne sont pas des multiples pairs les unes des autres, qu’il qualifie en termes de « brèves » et de « longues » :

 

Selon lui, C C. =  une mesure pensée en 2 tps inégaux, non divisibles.

Ce qui fait dire à Braïloiu que l’aksak est un rythme, non pas monochrone (fondé sur une seule unité de valeur),

mais « bichrone irrégulier » (irrégulier, au sens où le tps long n’est pas le double du tps bref).

 

= Gde différence de conception,

puisqu’elle induit que l’intelligence musicienne peut s’accommoder d’un rapport irrationnel de 3 pour 2 (ou 3 pour 4).

Ex. N. N (= 3 + 2) ou N. B (= 3 + 4)

 

 

Pour comprendre ce phénomène,

Braïloiu le compare aux règles métriques de la prosodie grecque antique :

textes chantés comprenant des syllabes de durée variable :

longues et brèves, formant des pieds.

(il ne va pas pour autant jusqu’à dire que ce système vient de la prosodie :

la comparaison s’arrête là… : Mais piste intéressante !

 

+ Il relève que l’aksak appartient au domaine chorégraphique :

rythmes qui s’appuient sur la gestuelle et sont tjs intégrés par le corps — que ce soit ds la danse ou dans le gestuelle de l’instrumentiste —, sans être comptés.

 

• Jérôme Cler va reprendre ces travaux et pousser leur étude plus loin, notamment en s’intéressant aux critères de classification endogènes — émiques — de ces structures métriques aksak (≠ ce que n’avaient pas fait à leur époque Braïloiu et Bartok) :

= classifications des populations qui les pratiquent :

à savoir ici, les populations paysannes de la Turquie égéenne (Turquie du sud-Ouest, région de Denizli) = trad. régionale.

 

Populations de cette région différencient tout d’abord la mesure à 9 tps, qui ne porte aucun nom générique, mais renvoie à une norme chorégraphique,

de la mesure à 2 ou 4 tps, qu’ils appellent düz : lisse, plat, droit.

 

≠ La mesure à 9 tps n’a en fait pas d’autre désignation que le nom des 3 types de danses sur lesquelles elle est jouée :

 

Danses qui se caractérisent en fait par des différences de tempi :

- Zeybek lent (Agir zeybek) : en 9/4           (N = entre 35-45)

- Zeybek rapide (kïvrak zeybek) : en 9/8 (C = entre 80-95)

- Sipsi : en 9/8, mais bp + rapide (C = entre 220-250)

- Teke : en 9/16 (cc = entre 440-500)

 

Schéma métrique : tjs 3 groupes de 2 et 1 groupe de 3 (ex. 2 +2 + 2 + 3, ou 2 + 3 +2 + 2, etc).

 

1er pb qui se pose : où faire commencer le mètre ?

Quel est le critère qui permet de placer les groupes de 3 au début, au milieu, ou à la fin de ce schéma métrique ?

 

         J. Cler prend l’exemple de la danse sipsi :

Airs qui constituent des ritournelles : unités mélodiques d’1, 2 ou 4 mesures comptant chacune 9 tps.

Ritournelles = répétées indéfiniment, pour les besoins de la danse (variantes seulement de type ornemental).

 

- 1er critère permettant de relever le schéma métrique (d’en marquer les frontières par une barre de mesure) : d’ordre mélodique

= la fin de la ritournelle, à savoir le retour sur la fondamentale.

Ex. polycopié : fig. 1 et 2 (p. 186) : le La.

NB : Remarquer le chiffrage noté (3 + 2  + 2 + 2), et non pas 9/8.

 

         Ne signifie pas que le tps qui suit la barre de mesure (le premier tps) est un tps plus accentué (au sens d’accent d’intensité) que les autres.

La barre de mesure marque en fait ici le retour de l’identique, c’est à dire le retour d’un même schéma de subdivision rythmique :

en 3 + 2 + 2 + 2,

ou 2 + 2 + 2 + 3, etc.

 

 

= ce qu’on appelle un schéma accentuel.  

(qui permet la décomposition interne en groupes de 2 et/ou de 3: indique que la première note de chaque cellule est marquée d’un accent métrique, qui peut être ressenti par le phrasé, un accent d’intensité, un saut mélodique ou le retour sur un degré important, la convergence rythmique de tous les instruments sur le temps en question, etc.)

 

- Dans le cas turc, schéma métrique aussi marqué par la battue que frappe l’assistance, voire les musiciens eux-mêmes (frappes sur la table d’harmonie du luth saz).

 

- par les appuis du cycle chorégraphique :

cf. Accents 1 0 1 0 1 0 1 0 0  ou  1 0 1 0 1 0 1 1 0

Accents chorégraphiques coïncident donc avec les accents métriques.

 

= Phénomène récurrent : donc tjs très important d’observer la danse qui accompagne une musique.

 

- enfin, accents d’une autre nature viennent se superposer :

notamment la fréquence d’un accent de durée sur les 5ème tps (2 + 2 + 2… ) ou 6ème tps (3 + 2 + 2… ), qui contraste avec les valeurs brèves qui l’entourent.

 

= Induit la perception d’une seconde division en 4 + 5 ou 5 + 4.

Accents métriques, accents chorégraphiques et accents de durée [— dans d’autres musiques, ce pourraient aussi être des accents mélodiques ou harmoniques —] dénotent donc parfois l’existence de subdivisions différentes, qui marquent une hiérarchie entre les temps

- Accents métriques et chorégraphiques    / 100 + 10 + 10 + 10 / + 100… 

- Accents de durée                                     / 100 + 00 + 10 + 00  /

                                                        Total =200 + 10 + 20 + 10

 

Mais J. Cler fait remarquer — et c’est un point fondamental — que ns sommes ici ds un système qui n’admet jamais de superposition contramétrique (accents en conflit avec le mètre, i.e. jouer “contre” les accents métriques ) :

Ex. 2 schémas accentuels différents superposés jamais réalisés :  

 

3 + 2 + 2 + 2

                   sur    3 + 3 + 3

                   ou     2 + 3 + 2 + 2

                   = impossible dans ce système.

 

≠ tandis que dans un système non aksak, on peut très bien décider de déplacer les accents métriques en jouant par exemple :

 

en 4/4 :

/ N N N  N /

sur    / N.  N.   N /

 

Dans le cas turc, nous sommes ainsi dans un système strictement cométrique : = schéma de subdivision accentuel fixe, à l’intérieur duquel on peut faire varier les figures rythmiques, mais où tout le monde joue en marquant les mêmes accents métriques.

         On verra que c’est un trait essentiel ds la définition de l’aksak

 

Ex. musical 3 :  Lyra

Vièle que l’on trouve en Grèce, en Bulgarie et jusqu’en Turquie.

Ici, ex. de lyra turque d’Istanbul à 3 cordes, jouée aussi bien par des musiciens grecs que turcs.

 

Lyra jouée par Socrates Sinopoulos + luth tambur + tambour sur cadre bentir.

(= aksak très lent : cf. suivre frappe basse du tambour sur cadre.)

1 2 1 2 1 2 1 2 3.

 

À 0’4 : entrée du tambour qui marque le début du cycle : 2 + 2 + 2 + 3

 

Donc début = 3 + [2 + 2 + 2 + 3 ] + etc.

= joue dès le départ sur l’ambiguïté entre débuts et fins de cycle par cette anacrouse en début de cycle. 

 

Débutent certains cycles sur le 3, mais finales aussi sur le 3.

         Donc hypothèse la plus probante : mètre = 2 + 2 + 2 + 3 , avec anacrouse en début de cycle.

 

 

Ex. musical 4 : CD Turquie, Le violon des Yayla (violon + luth üçtelli)

 

 

 

Cycle de la ritournelle = 2 mesures :

 

 [3 + 2 + 2 + 2] + [3 + 2 + 2 + 2]

 

 

 

 

B/ Un autre pb se pose ds l’analyse des rythmes aksak : celui du tempo.

 

Braïloiu, ds son étude, avait déjà relevé qu’en présence de tempi lents, il arrive que les unités se subdivisent.

Et il note : « c’est ce qui a fait prendre à certains — et il fait sûrement allusion à Bartok — la valeur divisionnaire pour unité réelle ».

 

Cf. valeur divisionnaire retenue par Bartok est la double croche [soit 2cc 3cc], considérée comme l’unité minimale,

au lieu de retenir comme le fait Braïloiu 2 unités fondamentales asymétriques : C C.

 

Jérôme Clerc reprend cette problématique en comparant ce qui se passe au sein des différentes danses citées, qui présentent précisément des différences importantes de tempo.

 

 

• Ex de tempo rapide, avec la danse teke :

Schéma métrique 2 + 3 + 2 + 2/16 (cf. polycopié : transcription fig. 3)

 

J. Cler fait observer que la rapidité du tempo est telle que l’on ne perçoit plus la valeur divisionnaire ou unité minimale (à la double croche) : 1 2 3 4 5 6 7 8 9.

Le seul repère cognitif est ici une pulsation bichrone : C C. C C

 

Comme ds la danse sipsi, on a une superposition de structures différentes :

- les accents métriques :                   1 0 1 0 0 1 0 1 0

- les accents de hauteur :                           0 0 1 0 0 0 0 0 0 (cf. Mi : bond mélodique)

- les accents marqués par la battue :          1 0 0 0 0 1 0 0 0

- les accents chorégraphiques :                  1 0 0 0 0 1 0 0 0 (rapport 5 + 4)

 

= superposition de structures différentes dont résulte une hiérarchie accentuelle :                                 Total =       3 0 2 0 0 3 0 1 0

 

Du fait de la rapidité du tempo, le rapport 2 pour 3 passe presque au second plan, au profit du rapport 5 pour 4.

Ex. musical 5, CD Musique des yayla : luth üçtelli à 3 cordes + saz + violon.

= Suite de danses rapides teke (2 mesures par ritournelle) :

- 1ère danse (2 + 3 + 2 + 2)

- puis, interlude ad lib à partir de 2’16,

- et 2ème danse à partir de 3’02 (2 + 2 + 2 + 3) :

cf. à 3’25 : on entend frappé sur la table d’harmonie le  4 + 5.

 

Ici, la valeur divisionnaire (ou unité minimale) devient très difficile à percevoir : d’où, sensation nette de rythme boîteux.

 

• ≠ Ex. de tempo lent : la danse zeybek lente (zeybek kïvrak) : 45 à la noire

 

Dans la majorité des cas, un musicien occidental l’entendra comme une succession de mesures à 2 tps

Cf. polycopié transcription fig. 4 (cf. voir parenthèses sous la portée).

 

Or, chacune de ces mesures à 2 temps correspondent en fait à la valeur divisionnaire :     

1 2 3   4 5   6 7   8 9

= 3   +  2  +  2  +  2

 

D’où, écrit en 9/4, et non pas en (3 + 2 + 2 + 2 /4).

La pulsation ressentie ici, le repère cognitif, n’est plus bichrone : c’est une suite de 9 noires. Donc pas de sentiment de boîteux.

 

+ Le cycle de danse va quant à lui être bp plus long que le mètre : se développe dans ce cas sur 3 phrases identiques à celles-ci.

 

Ex. musical 6 : CD Musique des yayla

= suite de danses : (violon)

zeybek lents : 3 + 2 + 2 + 2

(ritournelle en 18 tps).

Ici, plus du tout perçu comme boiteux, ou asymétrique.

 

(cf. Cas aussi de l’exemple à la lyra, pl. 6, où l’on était tenté de décomposer le mètre en cycles de 9 noires).

 

         En fonction du tempo, la perception de l’étalon de référence change,

et avec lui, les appuis du cycle chorégraphique (cf. ce qui fait que l’on perçoit qu’on est à la croche, la noire, ou la blanche…).

 

+ Ds le cas de tempi rapides, difficile, du point de vue perceptuel, de subdiviser l’aksak en valeurs égales :

= valeurs d’emblée données comme groupées. 

 

         Pb que cela pose : l’aksak n’est-il aksak que lorsqu’il est perçu comme tel (= dans les tempi rapides)?

Autrement dit, peut-on encore parler de mètre aksak à un tempo lent, alors que le rapport 3 pour 2 n’est plus perceptible ?

 

Réponse de J. cler :

Ici, on est dans une même communauté territoriale, qui se trouve pratiquer un système de monnayage (= subdivision, densification du rythme) des valeurs permettant plusieurs tempi :  

On peut donc penser que c’est un même schéma mental qui préside à l’exécution de ces différentes formes ;

un schéma mental en fait intégré et produit corporellement par la danse, et qui entretient d’étroites relations avec la construction mélodique.

 

On peut en déduire, avec J. Cler, que la catégorie « aksak » est un système d’organisation du mètre généralisable à tous les tempi,

et qui n’est donc pas tjs nécessairement perceptible en tant que « rythme boîteux » (contrairement à ce qu’ont pu dire les 1er théoriciens).

 

 

Récapitulatif des mètres aksak :

 

IMPAIRS (et leurs permutations)                       PAIRS (et leurs permutations)

5 = 2 + 3                                                             8 = 3 + 3 + 2

7 = 2 + 2 + 3 (ou 3 + 4)                                      10 = 3 + 3 + 2 + 2

9 = 2 + 2 + 2 + 3 (ou 4 + 5)                                12 = 3 + 3 + 2 + 2 + 2

11 = 2 + 2 + 2 + 2 + 3 (ou 4 + 7)

 

Au delà de 11 unités minimales, Jérôme Clerc fait remarquer que l’aksak semble être une composition réalisée à partir des mètres précédents :

 

Ce qu’il appelle des « mètres variés » ou « groupes métriques », de type :

 

14 = 9 (2 + 2 + 2+ 3) + 5 (2 + 3)

15 = 8 (3 + 2 + 3) + 7 (2 + 2 + 3), etc.

 

 

 

 

C/ Les mètres pairs posent pb :

 

Peut-on encore parler d’aksak au sens strict, alors que de tels mètres peuvent aussi être subdivibles en valeurs symétriques ?

 8 = 2 + 2 + 2 + 2

         10 = 2 + 2 + 2 + 2 + 2

                                               12 = (2 + 2 + 2 + 2 + 2 + 2) ou (3 + 3 + 3 + 3)

 

 

Point très important, qui va nous amener à comparer l’aksak avec d’autres syst. rythmiques représentés ds le monde :

Bartok et Braïloiu, eux, les comptaient comme aksak.

 

Arom, qui a travaillé pour sa part en Afrique, appelle l’aksak « rythmes composés » (associant ds leur mètre des valeurs binaires et ternaires), 

et en propose la définition suivante

« Leur caractère "boiteux" résulte de groupements fondés sur la juxtaposition de quantités binaires et ternaires,

dont la somme correspond nécessairement à un nb premier »

(= qui n’est divisible que par lui-même, ou par l’unité 1. Soit 5, 7, 11, 13, 17, 19…)

 

= déf. qui exclut d’emblée les mètres pairs, et même tout mètre subdivisible en valeurs égales :

Ex. 9 /8 = selon Arom, rythme subdivisible en 3 unités de temps (3 + 3 + 3), donc ternaire, et ce, quels que soient les accents rythmiques marqués par les musiciens (même 3 + 2 + 2 + 2) .

 

Pour Jérôme Clerc, c’est une logique d’analyse typiquement occidentale, à savoir divisive, et non pas additive :

 

Ex. si un musicien joue 3 + 2 + 2 + 2 (ex. N. N N N), l’occidental ne va pas l’entendre comme l’addition de valeurs indivisibles (3 + 2 + 2 + 2 = rythme bichrone irrégulier selon Braïlou), mais comme un jeu de subdivisons binaires dans un mètre en réalité ternaire (du 9/8 : soit N. N. N. décliné en N. N N N).

= logique divisive : 
au sens où le musicien pense l’unité minimale à la croche (ou valeur divisionnaire), et non 2 valeurs asymétriques :

3C 3C 3C , et non pas N. N N N

Il peut dès lors librement réaliser différents types de regroupements rythmiques, tantôt cométriques (en respectant le mètre sous-jacent) : ex. / ds 2C N. 3C /

tantôt contramétriques (en conflit avec le mètre) : ex. / 3C-N C-C N /

 

La question qui se dessine à l’arrière-plan de ce débat est finalement :

y aurait-il de vrais et de faux aksak ?

 

- Le pb étant de savoir si l’on est en présence d’une organisation de type contramétrique dans un cadre métrique sous-jacent régulier = logique divisive

Ex. N. N. N en réalité pensé : 2 + 2 + 2 + 2, donc « faux aksak » (puisque du 4/4)

[Important : pour reproduire fidèlement cette conception divisive, un tel rythme devra être noté avec des syncopes : non pas N. N. N, mais N-2C-N N, indiquant que le mode de subdivision est bien en 4.]

 

- ou si, au contraire, l’on est en présence d’une organisation de type cométrique dans un cadre métrique irrégulier = logique strictement additive, où l’on ne pense pas la valeur divisionnaire, mais l’addition de valeurs asymétriques.

Ex. N. N. N étant pensé 3 + 3 + 2 / 8) = « vrai aksak », comme on en trouve ds les Balkans, relevant du syst. décrit par Jérôme Cler… 

 

= différence de schéma cognitif : ce que Kolinski appelle « mental patterning » (cf. Mieczyslaw Kolinski, article de la revue Ethnomusicology : XVII/2, 1973)

 

cf. Il cite une expérience concluante en Afrique :

un maître tambourinaire, à qui l’on demande de frapper le temps avec son pied par dessus une réalisation rythmique de 3 + 3 + 2 / 8, frappe une battue de 4 noires :

N.   N.   N

est en fait pensé en 4/4 :                   N-2C-N N

 

= cette battue est la preuve qu’on est en présence d’une réalisation contramétrique, puisque la référence mentale du musicien est un cadre métrique régulier, fondé sur un étalon isochrone.

 

≠ D’après J. Clerc, on trouve le même type de rythmes en Turquie,

mais impensable pour les musiciens de battre par dessus une métrique binaire !

 

+ formules mélodico-rythmiques jouées par les musiciens sur ce type de structure tjs parfaitement cométriques (s’articulent en 3 + 2 + 3) :

impossible d’accentuer par ex. le 3ème temps, le 5ème ou le 7ème par un jeu contramétrique : 

 

3C   2C   3C  ne sera jamais par exemple jamais réalisé :

2C 2C 2C 2C

 

= Schéma accentuel tjs conforme au cadre métrique sous-jacent.

 

D’où, Agawu propose de parler dans ce cas d’accents métriques,

et lorsqu’il y a contramétricité, de parler plutôt d’accents « phénoménaux » :

cf. Accents phénoménaux ne respectent pas le schéma métrique sous-jacent : ont donc une dimension plus événementielle (= librement placés).

(Koffi Agawu : Reprensenting African Music, chap. IV).

 

 

D/ La question qui se pose pour un certain nombre de systèmes métriques africains est donc :

 

La succession de cellules de 2 et de 3 — ce qu’Arom appelle des « rythmes composés » —  relève-t-elle tjs d’une logique divisive ?

(= en d’autres termes, ces rythmes composés renvoient-ils en réalité toujours  à une structure métrique sous-jacente basée sur des valeurs symétriques ? En bref, a-t-on affaire en Afrique à du « faux aksak ») ?

 

 

Ex. musical 7, Igbo du Nigeria

 

Dialogue entre trompes en calebasse et chant.

1 tambour de bois à fente + 2 bâtons entrechoqués + hochet

 

Hoquet : trompes jouent chacune une seule hauteur : combinent leurs motifs rythmiques respectifs pour former une polyphonie en contrepoint.

 

Accelerando progressif.

 

- Rythme des bâtons entrechoqués : 

Période de 12 unités minimales. Mais comment l’écrire ?

 

= Rythme bichrone (?) qui s’écrirait :

                                               (3 + 3 +  2 + 2 + 2 / 12) 

          NC NC  N  N   N 

 

                                                 1    2    3    4   5   6     

ou en 6 N ? (binaire en 6/4) :      N  2C-2C  N  N  N

 

                                                 1        2        3       4             

ou en 4 N. ? (ternaire en 12/8)         : NC   NC    NC-CN

 

Comment répondre à cette question ?

Écouter ce que font les autres instruments…

 

 

- Y a-t-il présence de jeux contramétriques, ou tous les instruments marquent-ils de façon cométrique le même schéma accentuel que les bâtons entrechoqués ?

- Subdivisions des autres instruments à dominante ternaire ou binaire ?

 

• Le tambour de bois à fente monnaie le temps à la croche (monnayage = subdivision rythmique) :

 

3C 3C 3C 3C = il place librement les accents, mais le plus souvent selon un mode de subdivision ternaire.

 

• Le hochet, hors variations, fait : CN CN CN CN (= formules rythmiques plutôt ternaires)

 

• Hochet + tambour sont donc globalement contramétriques par rapport à la deuxième partie de la formule jouée par les bâtons entrechoqués :

 

Ils jouent du 3 pour 2 :

N N N (bâtons)

sur    N.  N.           (hochet + tambour)

= procédé qualifié d’hémiole (emprunt à la prosodie grecque).

 

• Cycle chant / Trompes :

- Chant expose deux phrases presque identiques (A + A’) = 2 + 2 = 4 périodes de l’idiophone.

- Reprise alternée des trompes sur 2 phrases également (A’’ + A’’’) =  2 + 2  = 4 périodes de l’idiophone.

Chant + Trompes = 4 + 4 périodes : cycle long de 8 périodes

(R. C’est le début du cycle de chant qui permet ici d’identifier où faire démarrer le mètre).

 

Le chant suit globalement le schéma métrique donné par l’idiophone, mais les trompes usent de nb effets contramétriques (technique de jeu en hoquet, avec de nb contretemps et syncopes).

 

= On est donc clairement ici en présence d’une organisation de type contramétrique (donc pas du vrai aksak),

mais la structure métrique de référence serait quand même à vérifier en demandant aux musiciens de battre une pulsation ou de frapper des mains.

Cependant de grandes chances pour que ce schéma soit basé sur des valeurs symétriques ternaires (vu le jeu du tambour et le hochet) :

 

Soit 4 tps subdivisés de façon ternaire = 12/8, donc à écrire :       

NC  NC NC-CN

 

 

Cette formule rythmique donnée par les bâtons entrechoqués, construite sur 12 unités minimales, est très répandue en Afrique,

au point que le missionnaire Arthur Jones, le premier à avoir remarqué sa récurrence dans un ouvrage qui date de 1959, l’a appelée « standard pattern ».

 

= Longtemps décrite, selon les auteurs, comme un rythme en :

3 + 3 + 2 + 2 + 2,

ou 2 + 1 + 2 + 1 + 2 + 2 + 2

 

 

Jusqu’à ce qu’on s’aperçoive qu’il ne s’agit pas d’un rythme additif (vrai aksak, selon J. Cler), mais de ce que Kubik appelle une « asymmetric timeline » : = ligne de temps asymétrique.

 

Expression que l’on pourrait traduire en français par « formule-clé » asymétrique ?

 

= Formule asymétrique intermédiaire entre une structure métrique de référence basée sur des valeurs symétriques, et la réalisation polyrythmique qui, elle, joue précisément sur l’ambiguïté binaire-ternaire qu’entretient cette formule :

 

cf. les différents musiciens tour à tour en cométricité, ou en contramétricité par rapport à cette formule, dont le rôle est, du coup, de faire le lien entre tous les musiciens. 

 

Cf. polycopié : carte de Kubik (Garland, Africa, p. 308) :

Kubik relève une certaine concordance entre l’aire d’extension des cultes religieux associés aux danses de masque,

la présence de cloches en fer frappées sans battant interne — cloches simples ou doubles (flange welded = flancs soudés) — qui accompagnent souvent ces cultes,

et les fameuses « asymmetric timelines ».

 

Aire d’extension qui comprend toute la côte du Golfe de Guinée (zone forestière de l’Afrique de l’Ouest), l’Afrique Centrale et la partie sud de l’Afrique Orientale.

= approximativement l’aire d’extension du peuplement bantou

 

Ces timelines (ou formules-clé) sont basées sur des périodes de 12 unités minimales (= cas du « standard pattern »), mais aussi de 8 ou de 16 unités minimales.

Souvent jouées sur des cloches, mais pas seulement (cf. bâtons entrechoqués de type « clave », etc.)… 

 

 

Ex. musical 8, Plateau central du Nigeria : population Yergam.

Musiques de sifflets pour la célébration de la moisson : rite saisonnier.

 

Dizaine de sifflets de roseaux de différentes longueurs : chacun donne un son correspondant à sa taille.

chaque sifflet exécute un motif rythm. de base différent, l’ensemble tressant des motifs élaborés = contrepoint ici encore en hoquet.

 

+ voix masculines

+ un idiophone frappé métallique (cloche) et un tambour tonneau, battu avec une baguette courbe.

+ un hochet en calebasse.

 

Relevez la formule-clé asymétrique donnée par l’idiophone :

 

CC  N   CN   CN  C(C)N   N   N   N   N    s    N   CN     CN

1      2    3   4     5   6      7    8    9   10  11  12  13  14   15  16

= (2 + 3 + 3 + 3 + 3 + 2 + 2 + 2 + 2 + 2 + 2 + 3 + 3 / 32) ?

 

Ici, période de 32 unités minimales à la croche (valeur divisionnaire), qui coïncide avec le cycle des sifflets.

Cf. C’est la coïncidence entre cycles des sifflets et de l’idiophone frappé qui nous indique ici le début de la période , soit le 1er temps du mètre.

 

• Sifflets et voix, ainsi que tambour, sont certes relativement cométriques par rapport à cette formule-clé de la cloche : du moins, de nombreux accents identiques.

 

• Mais la pulsation donnée par le hochet (seul instrument à jouer un rythme régulier sur 26 temps à la noire) nous indique que le schéma métrique sous-jacent pensé par les musiciens est bien de 16 temps, donc logique divisive binaire : = 16/4.

 

 

Donc à écrire comme suit :

 

2C  N   2C-2C  N   2C  N   N   N   N    N    s    N   2C-2C  N

1     2    3    4     5    6     7    8    9   10   11  12  13  14   15  16

 

 

 

Petite parenthèse terminologique :

 

La déf. de « polyrythmie » ds le glossaire distribué est erronée (à lire…) :

La pulsation qui sous-tend une polyrythmie, et a fortiori sa matérialisation par une battue, est évidemment tjs la même pour tous, même lorsque les gens jouent par exemple du binaire sur du ternaire !

Cf. Polyrythmie au sens étymologique du terme = tout simplement l’exécution simultanée de rythmes différents (cf. étym. : « plusieurs rythmes »).

Mais la structure sous-jacente, c’est-à-dire le mètre, est néanmoins la même !

 

Cf. aussi : Agawu, qui dénonce ds le même ordre d’idée la notion de « polymeter » comme non pertinente (cf. Representing African Music, chap. 4) :

polymétrie = en théorie, superposition de mètres différents.

 

Mais même lorsque des musiciens semblent jouer simultanément sur des mètres différents, ils n’en sont pas moins coordonnés par une même référence métrique mentale, parfois frappée des mains, parfois donnée au sein de la danse :

en l’occurrence un long mètre sur lequel ils se retrouvent tous au bout d’un certain nombre de cycles :

 

Exemple :

 

Idiophone frappé en (2 + 2 + 2 + 2 + 2 + 3 + 2 + 2 + 2 + 2 + 3 / 24 ?) : 

         N   N  N  N   N  N  CN  N  N  N   N  C

Tambour lead en 2/4 :                      CN.    CN.    CN.   CN.   CN.    CN.       

Tambour accompagnateur en 3/4 : 2C 2C N 2C 2C N 2C 2CN 2C 2C N

Frappements de mains donnant la pulsation :

                                                         N.   N.    N.    N.    N.    N.   N.    N.

 

= Cette pulse nous indique que les musiciens pensent en fait du 24/8 (c’est leur dénominateur commun), soit une subdivision ternaire (3 + 3 + 3 + 3 + 3 + 3 + 3 + 3).

 

         Notion de « polymétrie » donc pas véritablement pertinente.

 

Ajoutons qu’il s’agit ici encore d’un exemple-type de polyrythmie, où une formule-clé asymétrique fait le lien entre les différentes parties, mais où les effets contramétriques ponctuels des uns et des autres par rapport à cette formule montrent qu’on est bien dans une logique divise, qui renvoie à un mètre sous-jacent basé sur des valeurs symétriques, isochrones (que cette pulsation régulière soit ou non matérialisée, comme elle l’est ici par les frappements de main, ou précédemment par le hochet).

Donc pas de l’aksak à proprement parler, au sens balkanique du terme.

Après écoute de nombreux exemples, il semblerait qu’il n’y ait effectivement pas (ou très peu ?) de rythmes aksak (c’est-à-dire additifs) en Afrique subsaharienne (cf. thèse d’ailleurs défendue par K. Agawu).

 

 

Et qu’en est-il de l’hétérométrie ?

succession — et non plus superposition— de mètres différents (dans le temps) ?

On peut accepter cette notion comme valide, mais furieusement imprécise :

 

Encore faut-il distinguer à quel procédé on a affaire :

 

3 cas possibles :

• lorsqu’il y a changement de périodicité (nombre d’unités de temps au sein de la période) :

Par ex. Passage d’un 4/4 à un 6/4 au sein d’une même pièce :

= passage de 4 unités de temps au sein de la période à 6, l’unité de temps (la noire), et donc le tempo, restant les mêmes.

De même que la subdivision du tps : on reste en binaire.

 

• Cas d’un changement d’unité de temps :

Ex. passage d’un 4/4    - à un 4/2 = passage à la blanche  / B B B B /

                                      - ou à un 4/8 = passage à la croche  / C C C C /

Le schéma accentuel reste le même (i.e. binaire ici) :

seul change le tempo (la période dure plus longtemps ou moins longtemps, mais comprend tjs le même nombre d’unités de temps) :

Il me semble alors plus précis de parler de dédoublement de tempo (dans le premier cas),

ou au contraire, de doublement de tempo (dans le second cas).

 

• Cas d’un changement de schéma accentuel (de subdivision du temps) :

Ex. Passage d’un 3/4 à un 6/8 (ou 6/4 à 12/8) : de N N N à N.  N.

= changement de schéma accentuel, par passage d’une subdivision binaire à ternaire. Mais la période et le tempo restent en revanche les mêmes.

 

Il y a donc 3 dimensions qui composent un mètre :

-         L’unité de temps (qui donne la pulse et son tempo).

-         La période (le nb d’unités de temps)

-         Le schéma accentuel (donné par le mode de subdivision du temps).

 

 

 

De tels cas d’hétérométrie existent dans les musiques de tradition orale (ex. passage d’un 4/4 à un 6/4) :

encore faut-il se demander s’ils ne sont pas tout simplement l’indice d’un changement de pièce ?

Cf. ds de nb. trad. musicales, on ne s’arrête pas nécessairement entre deux morceaux. Fréquent que les musiciens enchaînent sans aucune transition. Surtout en circonstances festives ou cérémonielles.

 

  

 

 

E/ Poursuivons avec la problématique des rythmes additifs et divisifs, et des formules-clés asymétriques (ou time-lines, selon les termes de Kubik) :

 

= prétexte à étudier un certain nombre de systèmes rythmiques selon une même grille de lecture… 

 

Syst. de formules-clé a voyagé jusqu’en Amérique par le biais de la traite esclavagiste : très répandu ds les musiques afro-américaines.

 

Cf. carte de Kubik : on se rappelle que ces formules sont en Afrique particulièrement présentes dans tous les pays côtiers du Golfe de Guinée et d’Afrique Centrale (jusqu’au Congo – Angola)

= précisément les régions où étaient implantés les ports qui emmenaient les esclaves à destination de l’Amérique et des Caraïbes.

 

Ex. des Caraïbes, avec le cas de Cuba (mais on trouve aussi ces mêmes systèmes ds nombre de musiques afro-américaines) :

 

Les formules rythmiques afro-cubaines appelées « claves » (litt. “clé”) :

= formules emblématiques de la musique cubaine, que l’on retrouve entre autre chez les populations qui ont fourni le plus d’esclaves à Cuba : pop. bantu et yoruba.

 

Formules qui, ds la musique africaine, doivent avoir un rôle cognitif et identitaire important, puisqu’elles ont résisté à l’acculturation brutale engendrée par la traite esclavagiste au point de devenir, littéralement, les « clés » de la musique cubaine.

 

Comme en Afrique, elles constituent un élément rythmique qui structure la totalité du jeu polyrythmique, même au sein de genres musicaux acculturés à la musique tonale, comme par exemple le son cubain.

 

Il y a essentiellement 2 types de claves cubaines : celle du son et celle de la rumba :

 

- Clave rumba (ou clave negra) : née à la Havane ds les années 1850.

 

N.    N. ds  C / s  N    N  s /

3  +  4   +   3   +  2  +  4    = 16C

 

 

Plusieurs sous-genres ds la rumba :

division binaire du temps : yambu, guaguanco ≠ ternaire : columbia.

 

- Clave son : que l’on retrouve ds la salsa

(cf. salsa née dans les années 60-70, dans le creuset du milieu cubain et portoricain immigré à New York).

 

N.    N.     N / s   N     N  s /

3  +  3  +   4   +   2  +  4    = 16C

 

 

1 côté où 3 coups sont frappés (= dit « côté 3 de la clave »).

1 côté où 2 coups sont frappés (= dit « côté 2 de la clave ») .

 

Selon les morceaux, on dira qu’on est en clave 2/3, ou au contraire en clave 3/2 (selon que la pièce commence sur le côté 3 ou le côté 2 de la clave). 

 

Cette clave se réalise sur 2 bâtons entrechoqués également appelés « claves ».

Le terme même de clave est d’ailleurs lié à l’histoire de cet instrument : né ds les ports cubains de la Havane, où les ouvriers ont adapté à des fins musicales les grosses chevilles de bois appelés claves (clés) qu’ils utilisaient pour la réparation des navires.

 

 

Ex. du son cubain :

Genre né en milieu rural ds la région de Santiago (pointe sud-est de l’île) à la fin du XIXème,

et qui, plus encore que la rumba, relève d’une profonde interaction (synthèse) entre la culture musicale hispanique et les cultures africaines importées à Cuba.

 

Structure formelle : en 2 parties :

- l’une, fermée, qui consiste en l’énonciation d’un chant fixe (canto) en plusieurs couplets, alternant avec un refrain chanté par le chœur (coro).

- l’autre, ouverte, fait alterner solo vocal ou instrumental (pregon) et refrain chanté par un chœur (coro).

= forme responsoriale soliste / chœur, appelée montuno (“del monte” : de la montagne).

 

De façon assez grossière :

- Apports européens : une partie des instruments : c’est-à-dire les instruments à cordes = tres (petit luth à 3 cordes doubles) ou cuatro (une double corde en plus ds le grave) et contrebasse (autrefois le grand lamellophone marimbula).

+ le type de mélodie, et surtout, le patron harmonique, qui dérive de la contredanse (danzon cubain) née dans les salons espagnols.

 

-         Apports africains : l’autre partie des instruments : les bongos (double tambour cylindrique à une membrane), la cloche frappée campana et les hochets maracas, la forme responsoriale du chant, la polyrythmie basée sur la clave, formule-clé asymétrique (du 3 et du 2).

 

Les musiciens cubains ne peuvent jouer sans penser cette formule-clé asymétrique, sur laquelle est basée toute l’architecture rythmique :

cf. ils comptent d’ailleurs tjs en claves, et non en mesures… 

 

Les différents rythmes joués par chaque instrument s’imbriquent les uns ds les autres en fonction de la clave, qui tisse en fait la trame métrique qui se dégage de l’ensemble polyrythmique.

 

= Tous interdépendants, le lien entre eux étant précisément donné par la clave.

Cf. Accents pensés par rapport à la clave : on est cométrique ou contramétrique par rapport à la clave (« avec » ou « contre » la clave).

 

 

Ex musical 9 : CD La familia de Valera Miranda : (= famille type de musiciens de la région de l’Oriente où est né le son).

Clave 2/3 ou 3/2 ?

 

Structure de base : sans les variations :

                                                       1        2     3      4  /  1     2      3     4

                                              

                                              

Clave                                               s       N    N     s   /  N.      N.         N

 

 

Martillo (marteau) des bongos       4C          4C        /   4C        4C

Avec accents sur le 1er et le 3è temps.

= rythme de base, mais improvise en interaction avec le chanteur et le joueur de tres. (peaux sont accordées à la quinte : aigus marquent les accents sur le 1 et 3)

+ relayé par la cloche campana ds les montuno (parties improvisées).

 

Maracas                                          ds C  2C  ds C 2C / ds C 2C ds C 2C
Ils démarrent tjs en levée par rapport au 1 et au 3 ≠ bongos : emplissent en fait de leur timbre aigu les insterstices laissés vacants par les autres instruments rythmiques

 

Tumbao de la contrebasse              -N.      N.          N-/-N.        N.         N-

Le 1er temps n’est donc pas marqué. Accents sur la levée du 2è temps et sur le 4è temps.

= interventions syncopées (jeu sur les tps faibles qui se prolonge sur les tps forts) : cométrique par rapport au côté 3 de la clave / contramétrique par rapport au côté 2 + donne le soutien harmonique.

 

Montuno du luth tres                       -N     CN      N    C-/-C  N   N      N  C-

soutient le chant par une formule contrapuntique : presque tjs en levée par rapport au temps = joue un contrechant.

Cf. ici, hors variations :                             -Do  Mib Fa  Lab  Sol     Si   Fa    Lab Do-

 

 

= entrelacement total des parties : véritable polyrythmie (contrepoint rythmique, ou « effets contramétriques »).

 

Remarque : Ici, clave 2/3.

si l’on essaie de battre la clave à l’envers (en 3/2), cela perturbe les appuis.

 

 

0’00 à 2’02 : Forme responsoriale avec couplet / refrain (canto / coro)

2’02 : improvisation du luth tres : pregon

à 2’54 : reprend de nouveau le chant, pour laisser place à une impro de bongo.

3’37 : reprise du chant / refrain.

 

Dans une logique aksak additive, on pourrait dire qu’il s’agit d’un mètre de type : 2 + 4  + 3 + 3 + 4

 

Mais cette formule-clé présente un arrière-plan binaire, construit sur une période de 2 mesures à 2 tps (cf. salsa svt écrite en 4/4, mais balancement en réalité senti en 2/2, à la blanche, voire en 4/2 si l’on compte en claves et non en mesures). 

Pas seulement lié au fait que cette musique soit maintenant écrite.

La danse elle-même est basée sur un pas en 4 temps, le 1er et le 3ème tps étant accentués (et le 4 pas tjs marqué).

 

= jeu polyrythmique de résonance typiquement africaine :

sous-tendu par un mètre régulier (= logique divisive), mais où les différents instruments se coordonnent les uns par rapport aux autres en se référant à une formule-clé asymétrique.

 

 

 

 

 

 

 

F/ Autre exemple : les mètres indiens ou tâl(a)

 

         Selon la théorie musicale indienne, la musique peut être soit anibaddh (litt. non liée, c’est-à-dire sans structure métrique prédéfinie : ce qui inclut l’alap, préludes que l’on dit “non mesuré”),

soit nibaddh (litt. liée, c’est-à-dire basée sur des tâla) :

 

Tala = “paume de la main” : désigne une structure métrique, au sein de laquelle s’élabore le jeu du tambour à membranes tabla.

Il existe environ une 20aine de tâla couramment pratiqués.

 

Tout tâl est fondé sur l’interaction de 3 éléments :

- les matra (unités de temps)

- les vibhag (sections, qui découpent le schéma acentuel)

- l’avart (cycle, ou période)

 

Selon la théorie classique, un cycle (avart) comprend un certain nombre de temps (matra) – entre 6 et 16 – et se subdivise en pl. sections (vibhag), qui ne sont pas nécessairement d’égale longueur.

 

Ex. Tâl Jhaptal : 10 matra, 4 vibhag de [2 + 3 + 2 + 3] matra

 

1                                                                                                     1 avart

1                 2                          3                 4                                    4 vibhag

1       2       3       4       5       6       7       8       9       10               10 matra

 

 

Ex. Tâl Tîntâl : 16 matra, 4 vibhag de [4 + 4 + 4 + 4] matra

 

1                                                                                                     1 avart

1                 2                 3                         4                                              4 vibhag

1   2   3   4   5   6   7   8   9   10          11   12   13   14    15   16             16 matra

 

R. Le premier pourrait être considéré comme un aksak pair (2 + 3 + 2 + 3 / 10), tandis que le second présente un mètre régulier.

 

Donc les 2 principes qui coexistent ds la musique indienne : pas particulièrement différenciés du point de vue de la théorie.

 

Les différents vibhag qui confèrent au tâl sa structure sont indiqués lors de l’apprentissage gestuel des rythmes = chironomie

Cf. le musicien marque le premier matra de chaque vibhag (= le premier temps) par sa gestuelle (chironomie, du grec kheir > kiro : main) :

 

2 gestes principaux sont utilisés :

- tali (battue) = tps accentués par frappes des mains (indiqués + )

- khali = tps dit “vide” (correspond ds la chironomie à la paume ouverte), mais où le tabliste joue en fait principalement des frappes avec les mains à plat, donnant un timbre plus rond. (indiqué 0)

 + Le premier temps du cycle appelé sama : « repos ap. agitation » = valeur rythm. considérée comme positive ds la philosophie indienne. (svt. indiqué X).

 

Les 1ers tps qui marquent une section n’ont donc pas forcément une valeur égale :

il y a donc hiérarchie accentuelle interne au mètre :

 

Ex. structure métrique du tâl Jhaptal :

 

Sama          tali                       khali           tali

x                 +                          0                 +

1       2       3       4       5       6       7       8       9       10

 

 

 

Ex. Tintal :

 

x                 +                  0                        +

1   2   3   4   5   6   7   8   9   10          11   12   13   14    15   16

 

 

En plus de ce schéma chironomique (= gestuelle de la main où l’on peut articuler même les silences) :

chaque tâl possède une séquence-type de frappes, qui constitue en fait une formule rythmique mnémotechnique qui joue le rôle de signature du tâl :

aide à son identification.

Appelée thekâ.

 

Lors de l’apprentissage, les différents thekâ sont d’abord mémorisés à la voix, à l’aide de formules onomatopéiques qui reproduisent le timbre de chaque frappe :

 

Ex. thekâ de jhaptal :

 

x                 +                          0                 +                         

Dhin  Na     Dhin  Dhin  Na     Tin    Na     Dhin  Dhin  Na = signature rythm theka

1       2       3       4       5       6       7       8       9       10     matra

 

 

Ex. thekâ de tintâl :

x                               +                            0            +

Dha Dhin Dhin Dha Dha Dhin Dhin Dha Dha Tin Tin Ta Ta Dhin Dhin Dha

1        2        3      4      5     6        7       8     9    10   11  12 13   14     15    16

 

cf. 2 tâl peuvent avoir exactement le même nb d’unités de tps – matra – et la même distribution de tali et de khali – tps accentués et tps vides – et ne différer que par leur thekâ.

 

 

Formules monosyllabiques = système mnémotechnique d’onomatopées qui permet de mémoriser les formules et leurs variations en les solfiant d’abord à la voix.

= véritable solfège onomatopéïque appelée bol(a).

 

+ aide à mémoriser la technique de jeu :

A chaque onomatopée correspond un type de frappe sur les tabla :

Avec le bout des doigts, avec un doigt à plat, avec 2 doigts, avec la paume de la main, avec les 2 mains, sur le centre ou sur le rebord de la peau…

 

Cf. Technique de jeu des tabla très complexe, entre autre parce que digitale (grand nb de types de frappes)

+ hauteurs de jeu du coup très diversifiées et précises = instrument qui a une dimension quasi mélodique

 R : pour ce type d’instrument, pertinent d’indiquer les hauteurs de frappe.

 

• Ex. TA et NA = frappe de la main droite du bout de l’index sur le centre de la peau, le petit doigt reposant sur la peau pour l’étouffer légèrement.

• TIN = frappe avec le poignet et le petit doigt ensemble, en tenant la main soulevée par le bout de l’index reposant sur la peau.

• DHA = frappe des 2 mains. L’index de la main droite frappe à plat sur la périphérie de la peau et le petit doigt à plat sur le centre, tandis que la main gauche joue la frappe Ga : = le poignet presse le bord de la peau, tandis que celle-ci est frappée du bout des 4 doigts.

• DHIN = frappe des 2 mains. La main droite frappe Tin, tandis que la main gauche frappe Ga. Etc.

Ex. musical 10 : CD Instruments du monde (par Chatur Lal).

 

 

Parenthèse :

Cf. on trouve le même principe ds le monde arabe :

 

Répertoire de formules rythmiques appelé Ouasn (litt. « mètre », concept équivalent à celui de tâla), dont certaines sont également basées sur la combinaison de segments inégaux.

 

L’enchaînement des frappes (= le solfège de base d’un ouasn) est appelé naqrah (« frapper » = équivalent du mot indien bola). .

 

Les principaux éléments onomatopéiques d’un naqrah sont donc Dum, frappé sur le centre de la peau, et donc plus grave,

et Tak, frappé sur le rebord de la peau, et donc plus aigu.

 

(≠ Cependant un certain nb d’instr. ds le monde arabo-turco-persan qui donnent également lieu à une techn. de jeu digitale, avec toute une gamme de timbres : notamment le derbouka, que l’on retrouve sous des différentes appellations ds toute cette aire : derbuk, darbuk, derbek…).

 

Pour en revenir à l’Inde :

Un tal est donc bien plus qu’un simple mètre :

car il induit un motif rythmique-type (theka), qui inclut non seulement des paramètres d’accentuation et de durées, mais également de timbre du tabla.

 

= forme rythmique emmagasinée ds l’esprit de l’auditeur, et pour qui tout le plaisir du rythme (critères d’appréciation) va provenir de l’habilité du musicien à varier, à jouer d’écarts par rapport à cette forme sous-jacente.

Au point que le musicien ne fera pfs entendre la formule rythmique de base thekâ qu’au bout de plusieurs minutes de jeu.

 

Enfin, dernier paramètre important : le tempo ou lay.

Cf. La théorie distingue 3 types de tempi :

rapide (druta),

moyen (madhya)

et lent (vilambita).

= chacun représente une durée double du précédent : concerne donc la vitesse de la pulsation, mais également la densité des formules jouées.

 

+ Variations de tempo appelées yati : « mouvement » (= dynamique temporelle).

Cf. 3 mvts possibles en cours de jeu :

Mvt égal (sama),

accéléré ou ralenti (srotogat)

et variable (gopuccha : “en queue de vache”) = tantôt rapide, tantôt lent !

 

Récapitulons :

Si l’on considère les différents niveaux de structuration du mètre (unités de tps matra, section vibhag et cycle complet avart),

tps structurellement les plus forts du point de vue de la perception sont ceux qui apparaissent sur les 3 niveaux 

≠ les plus faibles : ceux qui n’interviennent que sur un seul niveau, celui de l’unité de temps.

= critères qui dessinent la matrice rythmique de référence : = la structure métrique accentuelle.

 

Ex. Tal jhaptal : cf. schéma Clayton.

 

(1      2       3       4       5       6       7       8       9       10)

•        •        •        •        •        •        •        •        •        •        Matra

•                 •                           •                 •                           Vibhag

•                                                                                             Avart

 

 

 

+ Et même un quatrième niveau lié au temps vide khali (différence de timbre au tambour), qui marque un demi-cycle : 5 + 5

 

x                 +                          0                 +

•                                              •                                              Demi-cycle 5 + 5

4                 2                          3                 2               

 

= hiérarchie accentuelle très précise.

 

 

Ex. musical 11 : CD Inde vol. I Daniélou (en tal jhaptal : mètre de 10 tps)

 

Mode Ahiri-Lalita sur le sitar, par Ravi shankar (4 cordes mélod., 2 cordes de bourdon – fonda et octave — et 11 à 1 » cordes sympathiques accordées sur le mode : vibrent par résonance lors du jeu des cordes principales).

+ accompagnement de tanpura (luth d’acc à 4 cordes : pédale harmonique de résonance prolongée),

et de tabla par Chaturlal.

 

Tabla : = tambour double

Timbale hémisphérique Bayan (gauche) : jouée avec la main gauche. Plus grave, d’accord moins précis. Elle qui marque le schéma métrique.

 

≠ Variations et impro jouées principalement de la main droite, sur le tambour cylindrique tabla à proprement parler, ou Dayan (droite).

 

Son système de cordage, entre lesquels sont insérés des petits rouleaux de bois permettant de faire varier la tension de la peau, favorise un accord très précis.  

 

Impro rythmique se développe parallèlement à l’impro de l’instr. mélod. et se juxtapose à elle.

Ds certaines pièces : certaines parties peuvent donner lieu à de véritables joutes de virtuosité entre le sitar ou la vina (cithare sur bâton, avec 2 résonateurs en courge), et le joueur de tabla.

≠ Mais ici, pas de solo du tabliste : marque le mètre de façon assez claire et c’est le sitar qui joue à s’émanciper du mètre.

 

Écoute

Repérer le cycle

- Alap non mesuré jusqu’à 1’44. (annonce le thème pour le tabliste à 1’39)

- Vilambit gat (thème lent et impro sur le mode).

Cf. coup aigu qui marque le temps vide khali à 1’56 (bien audible aussi à 2’16)..

Pour l’entendre, essayez de décompter 1 2   1 2 3  11 2 3… 

- 3’55 : thème rapide Drut Gat… 

 

Que ce soit au niveau de l’impro du tabliste (main droite sur le tambour dayan), ou de celle du sitariste (ou du joueur de vina), la qualité de l’interprétation viendra de l’aptitude de chacun à jouer d’écarts et de contre-temps par rapport au schéma métrique sous-jacent… 

 

Tout l’art consiste précisément à le faire sentir tout en s’en démarquant : En jouant tantôt binaire, tantôt ternaire… 

= effets contramétrique qui relèvent bien d’une logique divisive, ici encore :

 

au delà de 2 + 3 + 2 + 3, le sitariste et la main droite du tabliste pensent la subdivision en 10 (voire des cycles plus longs de 20, etc.), comme agençable de multiples manières.

 

2ème écoute : repérer les effets contramétriques :

A partir de 2’00 :

- 2’06 à 2’21 : thème varié : les accents coïncident parfaitement avec le schéma métrique donné par le tabla

- 2’21 à 2’40 : impro, avec jeu contramétrique du sitar.

Puis retour sur le thème et ses variations (schéma accentuel bien marqué).

- Idem de 3’01 à 3’14 : jeu contramétrique du luth sitar

puis retour sur le thème, qui marque bien le schéma accentuel.

- 3’45 : courte impro des tabla

- 3’55 : thème rapide progressivement introduit.

- à 4’46 : passages contramétriques…

 

Il arrive même que ds certaines pièces, le tabliste introduise au sein d’un tal des variations ds un autre tal.

Ex. Passe ponctuellement en jhaptal au sein d’un mètre tintal.

 

= Effets contramétriques qui révèlent ici encore que, bien que nous soyons en présence d’un mètre irrégulier, asymétrique, qui peut même se matérialiser sous la forme d’une formule-clé de base (le thekâ) constituant la référence pensée par tous les musiciens, ce mètre n’en est pas moins conçu de façon divisive.

 

On n’a donc ni affaire à une organisation de type contramétrique dans un cadre métrique régulier (10 = par ex. 2 + 2 + 2 + 2 + 2 : ce que Jérôme Cler appelle le rythme divisif de type occidental,

et dans lequel on a vu qu’on pouvait probablement inclure les rythmes d’Afrique subsaharienne, en dépit de la présence fréquente d’une formule-clé asymétrique intermédiaire),

ni affaire à une organisation de type commétrique dans un cadre métrique irrégulier (10 = 2 + 3 + 2 + 3 pour toutes les parties instr. : rythme typiquement aksak),

         mais, au fond, à une organisation de type contramétrique sur un cadre métrique irrégulier !

= Système que l’on peut dire mixte.

 

 

 

G/ Prenons un dernier exemple basé sur un mètre que l’on a déjà vu (cf. Afrique)

12 = 3 + 3 + 2 + 2 + 2

 

= Précisément l’un des mètres clés du flamenco :

cf. le flamenco est un style musical complexe, et qui recouvre plusieurs genres, que l’on caractérise généralement de chants (cantes), définies en fonction du type d’accompagnement joué à la guitare :

- les cantes a palo seco (sans accompagnement de guitare)

- les cantes a compas (avec accompagnement de guitare mesuré)

- les cantes libres con guitarra (avec accompagnement de guitare non mesuré). Cf. tableau polycopié

 

Ici, ce qui ns intéresse, ce sont évidemment les cantes a compas :

compas = terme générique qui désigne différents mètres harmonico-rythmiques.

 

Or, l’un de ces compas (mètres) est commun à un certain nombre de styles d’accompagnement à la guitare, dits toques :

 

Cf. Un toque comprend à la fois un type d’introduction à la guitare (pas tjs mesuré), une grille harmonique d’accompagnement particulière et des formes précises de variations mélodiques (les phrases variées étant appelées falsetas).

 

+ Enfin, chaque toque peut accompagner différents types mélodiques de chants :

Cf. tableau des types mélod. de chant du flamenco sur polycopié

 

Parmi les différents toques de guitare qui accompagnent les cantes a compas, 3 d’entre eux présentent la même structure métrique :

12 = 3 + 3 + 2 + 2 + 2

A savoir,    le toque por Solea

                   Le toque por Seguiriya

                   Le toque por Petenera

 

Se différencient uniquement en vertu d’un principe de déphasage (cf. Philippe Donnier) : cf. tableau polycopié fig. 5.

= Même schéma accentuel, mais le cycle ne démarre pas au même endroit = décalé : la différence se ressent notamment par rapport à la structure harmonique.

 

+ tjs ds le même compas, un dernier toque plus complexe :

le toque por buleria, qui se caractérise par un jeu très rubato et de nombreux points d’orgue qui rendent le mètre plus difficilement identifiable (bien qu’identique).

 

Sur ces différents genres, le chant, lui, est très libre par rapport à la métrique.

= Relativement mesuré (au sens de basé sur une pulse), mais totalement émancipé du mètre sous-jacent = chant ad libitum.

 

Pb posé par ce compas :

S’agit-il d’un 12 tps aksak : 3 + 3 + 2 + 2 + 2 ?

d’un 4 tps (du 12/8) ?

Cf. 3 + 3 + 3 + 3, avec un jeu contramétrique sur les 2 derniers temps ?

ou d’un 6 temps (du 6/4) — 2 + 2 + 2 + 2 + 2 + 2 — avec un jeu contramétrique sur les 3 premiers temps… ?

 

Il est toujours enseigné en accentuant :

Un-dos-tres, quatro-cinco-seis, siete-ocho, nueve-diez, un-dos

= 1  2  3  4  5  6  7  8  9  10  11  12

 

Ex. musical 12 : CD Early Cante Flamenco (pièce du type Seguiriya)

1       2  3  4  5  6  7  8  9  10  11  12

 

Repère : Battre le 1er 3 accentué à partir de l’entrée du chant.

À 0’50, la guitare ne marque plus les accents…

+ chant qui ne respecte pas du tout cette structure métrique sous-jacente : pas du tout cométrique.

 

+ ds les tempi rapides, les variations (falsetas) sont parfois construites sur une structure à 4 tps de subdivision ternaire : 3 + 3 + 3 + 3.

= bien ici encore ds une logique de pensée divisive

(particulièrement sensible dans la buleria).

 

= compas de flamenco qui correspond à la « time-line » des africanistes, sauf que, comme dans l’exemple indien, il est plus qu’une simple formule-clé :

il fait véritablement fonction de mètre.

 

Rien ne permet de trancher ici sur le fait que le schéma de référence soit plus binaire que ternaire (≠ exemples africains).

cf. les palmas et les pieds frappent le même schéma accentuel en 3 + 3 + 2 + 2 + 2…

 

On est donc là aussi un système mixte : avec un mètre asymétrique, mais susceptible de jeux contramétriques (≠ vrai aksak de J. Cler).

 

         Ce n’est pas si étonnant si l’on considère le parcours historique des populations tsiganes, au sein desquels est né le flamenco :

Inde > Europe balkanique > Espagne, marquée par l’influence des Maures en Andalousie.

 

Conclusion : 

À la question de départ posée par J. Cler :

la parité d’un mètre (mètre pair, susceptible d’être divisé en valeurs égales) doit-elle être exclue des composantes de l’aksak ? 

 

Oui, si effectivement aux niveaux de la perception ou de la production, un tel mètre se trouve réduit en unités égales binaires ou ternaires (3 + 3 ou 2 + 2) : on est alors en présence d’une logique divisive.

 

Non, si c’est la succession irrégulière des accents qui domine à tous les niveaux, y compris ds la danse :

= on a alors à faire avec un mètre perçu comme non divisible, composé de l’addition d’unités asymétriques.

 

Autrement dit, tjs se demander ce qui prédomine dans la conception d’une structure rythmique : la logique divisive ou additive ?

 

Tableau des 2 systèmes proposé par Jérôme Clerc :

 

Dominante “régulière” (mètre régulier)      Dominante “Aksak”

Contramétricité possible                                     Commétricité

Division                                                    Addition

Hétérochronie simultanée                          Hétérochronie de succession

(ex. du 2 sur du 3)                                              (ex. du 2 + 3)

 

Dans la dominante régulière peut éventuellement intervenir une formule-clé asymétrique intermédiaire (cf. Afrique subsaharienne, musiques afro-américaines…), bien que le mètre sous-jacent soit régulier.

 

À cela, on peut ajouter une catégorie intermédiaire :

 

= systèmes  « mixtes » ou « intermédiaires », où le mètre est donné comme irrégulier (mais que l’on n’appellera pas de l’aksak à proprement parler, si l’on veut du moins conserver la déf. qu’en donne Jérôme Clerc)

mais contramétricité possible

Division

Hétérochronie simultanée et/ou de succession

(cf. flamenco, musique hindustani, et peut-être, mètres irréguliers du monde arabo-musulman ?)

 

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Commentaires
C
Merci beaucoup pour cet article très passionnant ! Il répond à bons nombres de mes questions !
S
Et pour ceux qui aiment ces musiques, voici également un lien vers mon site : http://www.ethnomusicologie.fr/wodaabe-loncke
S
Article très intéressant, quelles sont vos sources? où trouver les exemples musicaux qui jalonnent votre cours?
Ethno-musicologie (musique rythme et percussion)
  • La musique est monde qui est fait de découverte constante... En espérant que mes analyses sociologique et musicologique vous intéresserons. Celles-ci sont faite à but pédagogiques et artistiques. Bien à vous...
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